C’est le cas de Jost, de sa femme et de leurs trois enfants jetés sur les routes de Flandre en direction du sud où la rumeur prétend qu’il existe des terres plus riches. Après avoir traversé le Mélantois et franchi la Marque, Jost et les siens arrivent, un matin, en Pevèle où des paysages verdoyants ruissellent sous un soleil d’automne. De loin, un mont qui domine tout l’horizon leur fait signe, mais ils le laissent à main droite pour continuer à progresser sur la voie romaine plus confortable. Ils ont hâte d’aller plus avant pour gagner un havre de paix. « Allez tout droit, leur dit un vieillard, dont on ne sait trop s’il veut les voir passer leur chemin ou s’il a compris leur désarroi et souhaite leur indiquer une bonne adresse. Vous verrez dans le bois une butte entourée d’un fossé n’y passez surtout pas la nuit, on l’appelle le rond des sorcières. Par contre prenez le chemin qui se trouve à ce moment-là devant vous, attention, ne vous trompez pas, il y en a sept ; suivez le il vous mènera vers un château. » Après avoir remercié comme il se doit leur informateur, Jost et sa famille se dirigent donc vers le hameau du Boujon qu’il faut traverser pour atteindre ce fameux rond des sorcières. Arrivés devant, ils peuvent constater que ce que le vieillard leur a dit, est bien vrai. C’est une petite calotte de terre d’environ 30m de diamètre et entourée d’un petit fossé. Des restes de poteaux plantés tout autour laissent à penser qu’il y avait sans doute à cet endroit, il y a de cela très longtemps, une palissade protectrice. Mais comme le lui a recommandé le vieillard, Jost ne s’y attarde pas. Il inspecte les environs, compte les sept voies qui se détachent du lieu comme autant de rayons d’une roue. Il note l’endroit d’où il est venu, il repère le chemin rectiligne qu’il doit prendre et sans perdre un instant s’y engage suivi des siens. Après avoir marché près d’une heure, il aperçoit comme de juste, les tourelles d’un château. - Allez, courage, je vais aller demander l’aumône au seigneur. Ses terres sont riches, il possède des biens et du bétail, il ne pourra pas refuser la charité aux bons chrétiens que nous sommes. Sur ces paroles et chemin faisant, les voici plantés au pied des épaisses murailles de la demeure féodale. - Cela n’est pas bon signe dit Jost, serions nous arrivés trop tard. Nous ne vous voulons aucun mal, nous souhaitons simplement l’hospitalité et un peu de pain pour la nuit. Nos enfants ont froid et sont très fatigués, pitié pour eux. Jost se dirige alors vers la grosse porte en chêne qui clôt le château dans l’espoir de pouvoir apercevoir enfin quelqu’un mais il n’a pas fait trois pas que le contenu nauséabond d’un tonneau de purin lui tombe dessus. « Godverdomme, dit le Flamand, c’est ainsi qu’on reçoit des voyageurs dans ce pays, ce n’est guère chrétien comme comportement. Mais vous ne perdez rien pour attendre, ajoute-t-il aussitôt en levant les bras au ciel, avant de s’éloigner avec les siens en direction d’une grange pour y passer la nuit. » En entrant dans la bâtisse, Jost découvre qu’il n’est pas seul dans les lieux. Il laisse ses yeux s’habituer peu à peu à la pénombre et compte bientôt deux, puis trois, quatre et jusqu’à dix personnes blotties près des meules de foin, toutes aussi crottées les unes que les autres. - Ah, il vous est arrivé la même mésaventure, dit
Jost. Ils se mettent à prier tandis qu’au dehors les éléments se déchaînent. De grands fracas semblables aux rugissements de quelque taureau céleste troublent les ténèbres. De sourds bouillonnements crèvent l’air en laissant échapper d’âcres odeurs de soufre. Une pluie diluvienne se déverse sur les lieux comme pour mieux les engloutir. Le lendemain alors que tout s’est apaisé, Jost sort de la grange pour voir l’ampleur des dégâts de ce qu’il pense avoir été un simple orage et quelle n’est pas sa surprise de constater que le château a disparu et qu’à la place s’étend désormais un vaste étang. Il rentre précipitamment pour prévenir les autres. Tout le monde sort pour constater le phénomène, et d’appeler alors le moine afin qu’il puisse voir lui aussi. Mais l’homme de Dieu s’est levé tôt et il est déjà parti. La pièce d’eau est si grande que l’un des enfants de Jost s’écrie alors : « C’est si grand qu’on dirait la mer ! » ; et le mot est resté. Car les tumultes de la nuit précédentes sont bien ceux provoqués par l’engloutissement du château dont le seigneur jugé trop méchant vient d’être puni par le Ciel. La nuit en question, alors que la lune est dans son plein, le châtelain reçoit en effet la visite d’un moine entré on ne sait comment dans sa demeure. Celui-ci se dirige jusqu’à sa table pendant qu’il est en train de ripailler avec quelques compagnons et lui dit ceci : « Qu’as-tu à manger de la sorte quand dehors des enfants ont faim, n’as-tu pas honte de leur jeter du vinaigre et du fiel quand ils te demandent à boire ? - Qu’ils passent leur chemin je ne leur veux aucun mal, qu’ils me laissent simplement en paix. Puis le château se met à sombrer avec ses biens et ses occupants. Des témoins disent avoir entendu des plaintes, des cris, vite couverts par le tumulte des eaux qui engloutissent peu à peu le tout. Certains avouent même avoir vu le seigneur monté sur le toit de son donjon, en train de partir à l’assaut du ciel, un objet luisant à la main ressemblant de loin à un morceau de métal recourbé. Et puis là encore plus rien, si ce n’est un immense tourbillon qui s’empare de l’étang et dont aujourd’hui encore on se demande s’il n’est pas l’une des portes de l’enfer. Mais si le seigneur a disparu, la légende prétend qu’il n’est pas mort et qu’il continue à hanter les berges de la mer, surtout durant les nuits de pleine lune, un crochet à la main, à la recherche d’enfants imprudents dans l’espoir de se venger et de pouvoir les entraîner au fond des eaux et de les noyer. Notes |