Vauban et l'Abbaye de Flines
(Monique Heddebaut)
 
Le rôle joué par Vauban dans la conquête de la Flandre, puis dans la gestion de cette province n'est plus à démontrer.
Mais qu'il se soit intéressé à l'abbaye de Flines est resté en revanche inédit jusqu'à ce jour.

La conquête de la Flandre

A la mort du roi Philippe IV, Louis XIV fait valoir les droits de sa femme Marie-Thérèse sur une grande partie des Pays-Bas espagnols. Dès le printemps 1667 démarre la guerre de succession d'Espagne. Tournai tombe le 24 juin. Douai est assiégée le 2juillet par le roi et Vauban. La garnison capitule le 6 et Louis XIV entre dans la ville le 8. Par le traité d'Aix-la-Chapelle la Flandre wallonne devient française.Les provinces conquises sont directement rattachées au Secrétariat à la guerre. Les châtellenies de Lille, Douai, Orchies s'aperçoivent très rapidement du recul de leur autonomie. La France impose rapidement un nouveau modèle d'administration. Le roi intervient désormais directement dans l'élection des membres du Magistrat de Douai et dans les finances de la ville'. L'abbaye de Flines n'échappe pas à la règle.

L'intervention de Vauban

Philippine de Robles dirige la communauté jusqu'au 24 février 1673, date de son décès. Pour la première fois, les religieuses doivent procéder à l'élection d'une abbesse dans la Flandre devenue française. Le 10 mars 1673, Vauban qui se trouve alors à Ath, écrit à Louvois2 : " . . L'abbaye de Fleurs?, qui est de filles4, est vacante, et on va travailler à i 'élection d'une abbesse. Il y a là-dedans une bonne religieuse, fille de qualité et proche parente de l'un de mes meilleurs amis; el/e s 'appelle dame Gertrude de Campigny'. Je vous demande la grâce, Monseigneur, de bien vouloir vous donner la peine de recommander un peu fortement son élection à MM. les commissaires qui seront députés pour cela, et de ne me pas nommer; attendri que tel en pourrait être, qu 'il n 'en ferait rien s 'il venait à savoir que vous l'eussiez fait à rua prière. J'attends l'effet de cette recommandation, Monseigneur; pour preuve de la con tin nation de vos bontés. I/y a quelqite temps qu 'elles durent pour 77101 et pour mes amis, et ce n 'est pas saris ennuis que je m'en aperçois ".Louvois lui répond le 17 mars: " Suivant ce que vous souhaitez, j écrirai au commissaire nommé pour l'élection de l'abbesse de Fleurs en faveur de sSur Gertuide de Champigny; et puisque vous croyez que votre recommandation lui ferait du tort, je ne lui parle point de vous "Gertrude de Coupigny n'est pas élue, car Ursule Becq obtient les suffrages de la communauté.

L'intervention Royale

La recommandation de Vauban a certainement été trop discrète. Il est clair cependant que la communauté n'a pas cédé aux pressions extérieures et qu'elle a élu la candidate de son choix.
Or, la réaction du roi ne se fait pas attendre. Louis XIV par une lettre en date du 6 juin 1673 adresse un coup de semonce aux religieuses:
A nos chères et bien amées les abbesse et religieuses de l'abbaye de Fîmes.

De par Le Roy

" Chères et bien ornées, ayant esté informé que l'abbaye de Fîmes, au diocèse d'Arras, laquelle est scituée dans la chastellenie de Lille, a estéfon-dée et dottée par les souverains et souveraines des Pays-Bas pour servir de retraitte aux filles nobles qui voudroient embrassser la vie religieuse, et sçachant qu 'au préjudice de cette institution et de l'intention des fondateurs, ila esté receu tant de filles dans cette abbaye qui ne sont point nobles d'extraction qu'encore que la communauté des religieuses dudit couvent soit nombre use, néantinoins il n 'y en reste que très-peu de nobles, et désirant restablir cette maison dans son premier lustre enfaveur de la noblesse et de la réduire aux termes de son institution, nous vo£<sfaisons cette lettre pour vous dire que notre intention est que doresenavant VOLtS ne receviez dans ladite abbaye et n 'admettiez à profession en icelle que des filles nobles d'extraction, et que lorsque ladite abbaye viendra àvacquer; vous ne donniez vos sufi f rages pour remplir la place d 'abbesse qu 'aux religieuses nobles; et afijin qu 'aucune religieuse dudit couvent, soit de celles qui y sont présentement, soit de celles qui y seront reçues cy-après, n'ignore ce qui est en cela de nostre volonté et qu 'elle soit exécutée sans difficulté, nous voulons que la présente soit leue en plein chapitre et registrée ès archives de ladite abbaye, à quoy nous assurant que vous satisferez selon le zèle et l'affection que vous tesmoignez pour nostre service et pour l'cidvantaige de ladite abbaye, nous ne vous ferons la piC-sente plus longue ny plus expresse; n 'y fit ides donc faute, car tel est nostre plaisir Donné au camp de Vossem, le sixième de juin g seize cens septante-trois.LOUIS.

Les religieuses font appel et obtiennent gain de cause. Ursule Becq reste à la tête du monastère jusqu'à sa mort en 1690.

Conclusion

L'intervention de Vauban, puis la mise en demeure de Louis XIV se sont soldées par un échec. Or l'histoire du monastère montre que la nomination des abbesses après cette date fera l'objet de pressions, de conflits et de négociations avec le pouvoir central. Cet épisode est révélateur de la mise au pas de l'abbaye de Flines et de la Flandre après la conquête française.

  1. ROUCHE M. (sous la direction de), Histoire de Douai, 1985, p. 129.

  2. ROCHAS d'AICLUN, Vauban, sa famille, ses Oisivetés et sa correspondance, 1910.

  3. l'écriture difficilement lisible de Vauban n'avait pas permis d'identifier l'abbaye de Flines.

  4. Cette abbaye passait pour le plus régulier et le plus magnifique monastère de l'ordre de Cîteaux son rapport annuel dépassait cinquante mille livres. Elle était située sur la Scarpe, entre Anehin, Douai et Lille. (Note de ROCHAS d'AIGLUN dans Vauban...).

  5. il s'agit vraisemblablement de Gertrude de Coupigny religieuse à Flines dès 1659. (HAUTCOEUR E., Histoire de l'abbaye de Flines, Lille, 1874, p. 491).

  6. VAUBAN, Ecrits divers sur la religion, Association des amis de la maison de Vauban, 89630 Saint-Léger-Vauban, p.55-56.

  7. VAUBAN : (1633-1707).